Petite forme, grand impact

Juin 10, 2025 | 0 commentaires

Ce texte est extrait de ma newsletter bimensuelle. 

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Deux fois par mois : une idée ou une technique décortiquée – explications, exemples, inspirations, exercices – sans blabla.

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N° 18 : Comment écrire une nouvelle qui marque

Bonjour 👋

T’est-il déjà arrivé de terminer une nouvelle en pensant : « C’était bien écrit, mais… il manque quelque chose » ? Cette sensation de texte qui glisse sans laisser de trace ?

Moi, ça m’est arrivé longtemps. J’écrivais des histoires courtes qui ressemblaient à des romans tronqués. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’écrire une nouvelle, ce n’est pas écrire petit — c’est écrire autrement.

En quelques pages seulement, tu peux capturer un moment qui change une vie. Un geste, une rencontre, une décision – et tout bascule.

La question qu’on me pose souvent : « J’ai une situation intéressante, mais quelle histoire en tirer ? Comment surprendre sans tomber dans l’artifice ? »

Voici trois principes qui m’ont aidée à comprendre l’art du format court.

✍️ Une nouvelle, c’est l’art du cadrage précis

On croit souvent qu’une nouvelle est un petit roman. C’est faux. Elle repose sur d’autres règles : tu n’as ni le temps, ni l’espace pour t’étendre. Tu dois viser juste.

Ce que tu racontes importe moins que ce que tu déclenches. Une bonne nouvelle, c’est un monde qui tient dans une faille. Pas besoin d’expliquer. Juste assez pour que le lecteur sente le hors-champ.

Avant de continuer, pense à la dernière nouvelle qui t’a marqué. Qu’est-ce qui t’en reste ? Probablement une image, une sensation, plus qu’une intrigue complète.

✅ Règle 1 : Un seul conflit central, dès les premières lignes

Idée clé : La nouvelle ne tolère pas les intrigues multiples ou les longues montées en tension.

Tout repose sur un conflit identifié très tôt. Il peut être intime, social, absurde — mais il doit traverser tout le texte. C’est lui qui structure l’élan.

Ce n’est pas une limite, c’est une contrainte créative : tu vas creuser en profondeur, plutôt qu’en largeur.

Exemples concrets :

  • Dans Les bijoux de Maupassant : une simple différence de goûts entre époux cache une vie entière de mensonges. Cette dissonance conjugale anodine révèle une trahison posthume.
  • Dans L’histoire de M. Harris de Joyce Carol Oates : une rencontre banale dans un supermarché tourne au malaise psychologique. Le récit entier repose sur une tension : qui est vraiment ce type ?

Comment appliquer : Résume ton idée en une seule question dramatique :

  • Va-t-il lui dire la vérité ?
  • Ce qu’elle croit vivre… est-ce réel ?
  • Va-t-elle franchir cette ligne ?

Et vérifie que tout dans le texte tourne autour de cette question.

⚠️ Écueil classique : Retarder le début du conflit pour « planter le décor ». Tu n’as pas ce luxe. Trois phrases pour installer la tension, pas plus.

✅ Règle 2 : Une relation forte au centre — et peu de monde autour

Idée clé : Une nouvelle percutante repose sur une tension entre deux figures : un protagoniste et un « autre » qui le révèle, le confronte ou le transforme.

Si tu débutes, c’est sur cette règle que je te conseille de te concentrer d’abord. Maîtriser le duo, c’est déjà 80% du travail.

Pourquoi ça marche : L’économie narrative impose de condenser les rôles. Chaque personnage doit compter.

Exemples :

  • Le silence des sirènes de Kafka : Ulysse face aux sirènes muettes. Kafka joue sur l’ironie – et si tout le mythe n’était qu’une construction d’Ulysse ? Cette relation duelle porte l’enjeu philosophique.
  • Le sourire de Bradbury : dans un futur où l’art est détruit, un enfant découvre la Joconde et rencontre un vieil homme. Deux générations, une transmission qui cristallise tout l’espoir du récit.

Comment appliquer : Identifie clairement : Qui transforme qui ? Par quel geste, quelle parole, quelle absence ?

Tes personnages secondaires (s’il y en a) doivent immédiatement renforcer cette dynamique — sinon, écarte-les.

⚠️ Écueil classique : Multiplier les personnages pour « faire réaliste ». Une nouvelle, c’est un axe, pas un éventail.

✅ Règle 3 : Une bascule claire — pas forcément un twist

Idée clé : Une nouvelle efficace fait vivre un basculement.

Quelque chose doit changer. Ce n’est pas toujours une révélation choc : parfois, c’est une prise de conscience, un retournement intime, un regard transformé.

Question test : si tu devais résumer le changement vécu par ton personnage en une phrase, ce serait quoi ?

Exemples :

  • Le Horla de Maupassant : un homme devient la proie d’une entité invisible — ou de sa propre folie. Le lecteur bascule avec lui, sans certitudes.
  • Recitatif de Toni Morrison : deux femmes se retrouvent après des années. Le récit joue sur la mémoire et les non-dits. La transformation est subtile, mais elle remue : une perception bascule.

Questions à te poser :

  • Que sait mon personnage à la fin qu’il ignorait au début ?
  • Qu’a-t-il perdu, gagné, ou compris ?
  • Qu’est-ce que je veux que le lecteur ressente à la dernière ligne ?

Ta dernière phrase doit laisser une trace. Pas forcément une révélation — mais une note de trouble ou de clarté.

⚠️ Écueil classique : Surjouer la chute. Le twist forcé étouffe souvent le fond. Mieux vaut une transformation intime et crédible.

💡 Pense à ces objets du quotidien qui racontent toute une histoire : une alliance abandonnée, une lettre froissée, une valise prête à partir. Ta nouvelle doit fonctionner comme ça — un détail qui dit tout.

✨ Mes recommandations pour creuser

« Le roman gagne par points, la nouvelle doit gagner par K.O. » — Julio Cortázar

 

📖 À lire :

  • Philippe DelermLa première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules : Un recueil de très courts textes qui tiennent entre la micro-nouvelle et la poésie du quotidien. Pas d’intrigue, mais une atmosphère, une sensation précise, un regard. → À lire pour t’exercer à dire beaucoup en très peu de mots, et explorer l’écriture des instants.
  • Stephen KingPlus noir que noir : Dans la postface, Stephen King avoue que les nouvelles lui ont « toujours demandé plus d’efforts ». Douze nouvelles aux textes percutants et aux dialogues ciselés. → À lire pour voir comment une narration maîtrisée peut construire une montée dramatique sans l’espace d’un roman. Parfait pour travailler la structure et le rythme. (Et aussi par pur plaisir évidemment 😉)
  • Joyce Carol OatesRépétitions / Dérive / Détonations : Des nouvelles sombres, souvent psychologiques, où un détail peut faire chavirer une vie. → À lire pour explorer la tension, le sous-entendu, la violence sourde.

🎧 À écouter : 

  • Ça peut pas faire de mal – Une heure de lecture par Guillaume Gallienne — De Marcel Aimé à Gabriel Garcia Marquez en passant par Anaïs Nin, laisse-toi embarquer. Lecture à voix haute et analyse des plus belles nouvelles de la littérature. Les subtilités du rythme, des silences, des chutes se révèlent à l’oreille. → Parfait pour comprendre comment une nouvelle « sonne » et développer ton oreille narrative. Analyse fine des choix d’écriture, sans jargon technique. 

👉 À retrouver sur France Inter ICI

✍️ Pour passer à l’action

Exercice 1 : Écris la fin d’abord

Trouve une dernière phrase percutante. Puis construis une histoire de 500 mots maximum qui y mène. 

Objectif : penser ton récit comme une montée vers un point d’impact.

Exercice 2 : Pas d’échappatoire

Place un personnage dans une situation qui coince : un choix à faire, une vérité à entendre. Règle : tout se passe ici et maintenant. Pas de retour en arrière. 

Objectif : créer une tension sans artifice.

C’est tout pour cette édition !

Écris, explore… et surtout, amuse-toi !

– Marlène

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