Il y a une dizaine d’années, j’ai lu Écriture : mémoires d’un métier. À l’époque, on trouvait très peu de livres en français où un romancier acceptait d’ouvrir le capot de sa pratique. Ce texte m’a marquée. D’autant qu’il est signé par l’un de mes auteurs préférés : Stephen King.
Aujourd’hui, j’ai envie d’y revenir pour ouvrir une nouvelle série d’articles pratico-pratiques : À l’atelier.
Pourquoi ce choix ? Parce que ce livre est trèèèès souvent cité — parfois jusqu’à la caricature, et souvent mal compris. Or il contient des pistes vraiment intéressantes, à condition de savoir les adapter à ta propre manière d’écrire.
L’idée de cette série : te filer des outils concrets pour nourrir ton écriture romanesque. Pas des recettes toutes faites, mais des méthodes éprouvées, que tu pourras t’approprier selon ta réalité d’auteur ou d’autrice.
Dans ce premier épisode, on va s’intéresser à la manière de faire du maître de l’horreur et du thriller.
Et si tu te servais de la méthode King… sans chercher à devenir Stephen King ?
La méthode d’écriture de Stephen King : simple, efficace et libératrice
Quand on parle d’écriture avec Stephen King, on oublie les formules compliquées. Dans son livre Écriture : mémoires d’un métier, le maître de l’horreur nous offre une approche d’une simplicité désarmante – celle qui lui a permis de créer plus de cinquante romans qui ont captivé des millions de lecteurs.
Découvrons ensemble les trois piliers qui font la force de sa méthode d’écriture et qui pourraient bien transformer ta façon d’aborder ton prochain roman.
Premier pilier : Écrire « porte fermée » pour stimuler ta créativité
Le conseil le plus précieux de King ?
« Le premier jet, c’est l’auteur qui se raconte l’histoire à lui-même. » — Stephen King
Imagine ton premier jet comme un espace protégé où personne ne te juge – pas même toi. Ce n’est pas une performance publique mais une conversation intime avec ton histoire. Cette absence de regard extérieur désactive ce censeur intérieur qui te paralyse avec ses « c’est nul » prématurés.
💡Astuce concrète : crée ta bulle d’écriture
Rappelle-toi que ce premier jet est strictement privé. Personne ne le verra dans cet état brut. Cette certitude te donne le droit d’explorer les chemins les plus audacieux, de tester des idées farfelues, et même d’échouer magnifiquement à certains passages. Ce n’est pas encore un roman – c’est un laboratoire d’exploration.
Dans son quotidien, King s’impose une discipline qui pourrait sembler austère, mais qui nourrit en réalité sa liberté créative : il écrit tous les jours, qu’il en ait envie ou non, avec un objectif de 2000 mots quotidiens.
Mais voici le véritable secret qui change tout : pendant cette phase, il ne revient jamais en arrière. Même s’il réalise au chapitre 5 que son personnage devrait avoir les yeux verts plutôt que bleus, il ne retourne pas corriger les mentions précédentes. Il note uniquement ce changement quelque part et continue d’avancer. Cette technique maintient l’élan créatif et évite ce qu’il appelle « la paralysie du perfectionnisme ».
💡Astuce concrète : deviens insensible aux imperfections
Fixe-toi un objectif de temps (15, 20, 30 minutes) pendant lequel tu t’interdis formellement de relire ou corriger. Va plus loin : désactive le correcteur automatique et ces soulignements rouges qui te supplient de t’arrêter. Ces petites imperfections attendront le deuxième jet.
Pour mettre cette étape en pratique dans ton propre projet :
- Laisse tranquille les fautes de frappe et les erreurs grammaticales (tu les attraperas plus tard)
- Ne brise pas ton élan pour chercher le mot parfait ou vérifier un détail
- Si tu as besoin de faire une recherche, note simplement [VÉRIFIER CECI] et poursuis ton histoire
King compare ce premier jet à l’excavation d’un fossile : selon lui, l’histoire existe déjà, quelque part sous la surface ; ton travail consiste simplement à la dégager délicatement, sans la briser. C’est pour cette raison qu’il ne planifie pas ses intrigues en détail – il préfère découvrir l’histoire au fil de l’écriture, ressentant la même surprise et la même curiosité qu’un lecteur.
Pas besoin d’aimer l’horreur ni d’écrire comme King pour tirer profit de sa méthode
Deuxième pilier : Laisse ton manuscrit reposer pour mieux le réécrire
Une fois ton premier jet terminé, King recommande une étape que beaucoup d’écrivains négligent : range ton manuscrit dans un tiroir pendant au moins six semaines.
Pas un coup d’œil, pas une pensée. Passe à autre chose.
Pourquoi cette attente qui peut sembler interminable ?
Pour revenir vers ton texte avec un regard neuf, presque comme s’il avait été écrit par quelqu’un d’autre.
Ces six semaines ne sont pas un chiffre arbitraire. Ton cerveau a besoin de ce temps pour « oublier » ce que tu voulais écrire et voir ce que tu as réellement écrit sur la page. Et crois-moi, la différence entre les deux est souvent… révélatrice.
Cette période de décantation permet d’identifier facilement :
- Les passages qui s’éternisent ou qui tournent en rond
- Les digressions qui n’apportent rien à l’histoire
- Les incohérences dans le comportement des personnages ou la chronologie
- Les moments où tu t’es fait plaisir en écrivant… au détriment de l’expérience du lecteur
- Et la bonne surprise : les pépites insoupçonnées à préserver à tout prix
King raconte souvent que c’est durant cette relecture qu’il découvre le véritable thème de son roman, parfois très différent de ce qu’il imaginait initialement. C’est comme si l’histoire révélait ses propres intentions, au-delà même des plans conscients de l’auteur.
Troisième pilier : Réécrire « porte ouverte » avec le lecteur en tête
Quand tu reviens enfin vers ton manuscrit, c’est avec une perspective complètement différente. Cette fois, tu travailles « porte ouverte » : chaque mot, chaque phrase est désormais évaluée en pensant constamment au lecteur.
King imagine sa femme Tabitha assise face à lui pendant qu’il révise. Cette présence imaginaire l’aide à se poser la question essentielle devant chaque passage : « Est-ce que ça fonctionne pour le lecteur ? »
C’est ici que commence véritablement le travail d’artisan. Tu resserres ton texte, tu élimines les longueurs, tu renforces le fil narratif qui guidera ton lecteur du début à la fin. King applique une règle implacable :
« Deuxième jet = Premier jet – 10 % ».
Tu tailles dans le superflu, sans compromis.
Cette réduction de 10% t’oblige à :
- Supprimer les adverbes superflus (que King déteste particulièrement)
- Raccourcir les dialogues pour gagner en impact
- Éliminer les descriptions qui font du surplace
- Parfois fusionner des personnages secondaires qui remplissent des fonctions similaires
- Couper les scènes qui ne font avancer ni l’intrigue ni le développement des personnages
Pour te donner un exemple concret : dans la première version de Carrie, King avait écrit des pages entières décrivant l’école et la ville. Dans la version finale publiée, ces éléments sont réduits à quelques phrases bien placées qui accomplissent le même travail sans jamais ralentir le rythme de l’action.
L’équilibre King : entre discipline d’écriture et liberté créative
Le véritable secret de King?
La constance impitoyable. Il écrit tous les jours, sans exception.
Ce n’est pas son quota impressionnant qui fait la différence, mais cette routine inébranlable. Écrire un roman n’est pas un sprint d’inspiration – c’est une marche persistante, un pas après l’autre.
King est à la fois extrêmement méthodique (avec son écriture quotidienne et son quota de 2000 mots) et complètement intuitif (sans plan rigide, découvrant l’histoire comme un lecteur).
« Qu’il s’agisse d’une vignette, d’une simple page ou d’une trilogie épique comme Le Seigneur des Anneaux, le travail est toujours accompli un mot à la fois. » — Stephen King
J’ai fait l’erreur de vouloir imiter ses fameux 2000 mots quotidiens.
Résultat ?
Frustration, découragement et culpabilité écrasante. Ce rythme n’était tout simplement pas le mien.
La véritable clé du succès, c’est d’honorer ton propre tempo naturel : mieux vaut avancer constamment à petites foulées que sprinter puis abandonner. Un quart d’heure d’écriture vaut infiniment mieux que rien du tout.
Astuce concrète : micro sessions plutôt qu’échec total
Intimidé(e) par l’objectif de 1000 mots ? Vise 500. Même 500 te paraît insurmontable ? Descends à 100. Encore trop? Fixe-toi 10 mots, mais écris-les.
L’essentiel n’est pas la quantité, mais le mouvement : cette habitude de te mettre en action, aussi modestement soit-il, construira progressivement le pont qui te mènera jusqu’au point final de ton manuscrit.
Au fond, ce que King nous rappelle, c’est que l’écriture est autant une question d’artisanat (qui s’apprend et se pratique quotidiennement) que d’art (qui s’explore et se découvre au fil des pages). Dans la prochaine partie, nous verrons pourquoi cette méthode n’est pas une panacée et comment l’adapter à tes besoins spécifiques d’écriture.
2. La méthode King ne marche pas pour tout le monde (et c’est normal)
La méthode de King te fait frémir plutôt que te libérer ? Tu n’es pas seul(e). Écrire à toute allure sans filet de sécurité peut autant débloquer la créativité que provoquer une angoisse paralysante.
Quand la méthode King ne colle pas à ton profil d’écriture
Les planificateurs stratégiques
Se lancer dans le vide narratif sans carte ni boussole ?
Pour certains auteurs, c’est comme sauter d’un avion sans parachute. L’absence de destination claire peut transformer la page blanche en gouffre vertigineux.
Les peaufineurs naturels
Si tu appartiens à cette catégorie (particulièrement commune chez les débutants), chaque phrase imparfaite te démange comme une irritation qu’il faut immédiatement soulager. Ignorer cette impulsion de correction instantanée demande un véritable entraînement mental.
Les penseurs structurés
Pour ces esprits, un premier jet totalement libre peut engendrer un texte si chaotique qu’il devient un puzzle impossible à reconstituer ensuite. Le risque : des heures de travail supplémentaires en phase de révision.
Jardiniers vs architectes : où te situes-tu ?
King est un pur « jardinier » de l’écriture – il sème une idée et la regarde pousser organiquement. Cette méthode implique d’accepter plusieurs cycles complets de réécriture, parfois du manuscrit entier.
Ma propre expérience ? Je fonctionne avec un mélange 70% architecture, 30% jardinage : je construis d’abord la charpente narrative et clarifie mes intentions, puis j’explore librement à l’intérieur de ce cadre sécurisant.
Trouver ta propre méthode hybride
L’objectif n’a jamais été de cloner Stephen King.
La vraie question n’est pas « Faut-il suivre sa méthode à la lettre ? » mais plutôt « Comment puis-je intégrer ses principes efficaces sans trahir mon propre processus créatif ? »
Dans la prochaine section, nous explorerons comment créer ton propre système d’écriture, inspiré des forces de King mais adapté à ta personnalité d’auteur.
3. Le Sprint King : écrire vite par sessions intensives
Stephen King écrit son premier jet sans jamais revenir en arrière, mot après mot, comme un vrai jardinier qui taille et remanie son texte après coup. Mais cette méthode ne convient pas forcément à tout le monde — ni à tous les projets.
Alors comment adapter ce principe pour qu’il te serve vraiment ?
Le Sprint King est ma réponse personnelle à cette question : une technique d’écriture intensive qui conserve l’essence de la méthode King tout en s’adaptant à différents profils d’auteurs. Ce qui fonctionne, ce n’est pas tant l’absence de relecture que la création d’un espace mental protégé où ton cerveau créatif peut prendre les commandes.
Pourquoi le sprint d’écriture fonctionne (selon la science)
Quand tu écris en sprint, quelque chose de fascinant se produit : ton cerveau bascule progressivement en état de flux. C’est cet état mental où le temps semble disparaître, où les mots viennent sans effort. Les neurosciences confirment que limiter le temps d’écriture (20-25 minutes) tout en suspendant ton jugement critique permet de contourner la résistance naturelle du cerveau face à la page blanche.
Cette technique fonctionne parce qu’elle désactive temporairement ton hémisphère gauche (celui qui analyse, juge, corrige) pour laisser parler ton hémisphère droit (celui qui crée, imagine, connecte). Concrètement, les premières minutes sont souvent difficiles, puis vient un moment de bascule où les idées commencent à s’enchaîner naturellement.
Quatre profils d’auteurs, quatre approches du sprint
Voici comment adapter cette technique selon ton profil d’écrivain, pour transformer durablement ta façon d’écrire sans te mettre la pression.
- Si tu es plutôt « architecte » — tu aimes planifier
Avant chaque sprint d’écriture, prends quelques minutes pour poser un mini-plan : cinq lignes par chapitre suffisent. Ce cadre te guidera et évitera que tu te perdes. Puis, lance-toi dans ton sprint, sans jamais revenir sur tes phrases. Écris sans juger. Tu peux même écrire un résumé de 5 phrases par chapitre, mais oublie-le pendant ton premier jet.
Pour les architectes, le sprint devient plus efficace quand il est précédé d’une courte phase de préparation (5 minutes maximum). Cela sécurise ton esprit analytique et lui permet de lâcher prise pendant la phase d’écriture proprement dite.
- Si tu es plutôt « jardinier » — tu avances à l’instinct
Lance-toi directement, sans plan rigide, mais tiens un carnet de bord : note les événements importants, les noms, les lieux, pour ne pas te perdre. Après chaque sprint, écris trois phrases qui résument ce que tu as produit : ça t’aide à garder le cap.
Les jardiniers tirent particulièrement profit du sprint car cette technique amplifie leur créativité naturelle. L’important est d’avoir un système simple pour capturer les idées qui émergent pendant ou juste après la session, avant qu’elles ne s’évaporent.
- Si tu as peur du vide — tu es anxieux·se à l’idée de mal faire
Autorise-toi à écrire des « brouillons de brouillons » : scènes incomplètes, dialogues décousus, morceaux désordonnés. L’important, c’est d’avancer, pas de réussir du premier coup. Commence par la scène la plus facile, pas forcément le début du roman.
Pour les écrivains anxieux, la technique du sprint est libératrice précisément parce qu’elle déconnecte l’acte d’écrire de l’acte de juger. L’important, c’est de comprendre que cette anxiété vient d’une confusion entre deux processus distincts : la création (qui doit être libre) et l’évaluation (qui viendra plus tard). Le neuropsychologue Elkhonon Goldberg a montré que ces deux processus activent des circuits neuronaux différents qui, lorsqu’ils sont sollicités simultanément, entrent en conflit et créent cette sensation de blocage.
Tu peux même te donner la permission d’écrire mal pendant les premières sessions — certains de mes meilleurs passages sont nés de sprints que je jugeais catastrophiques sur le moment.
- Si tu es perfectionniste — tu bloques dès la relecture
Teste la méthode « Sprint King » pure : 25 minutes d’écriture sans correction ni suppression, mot après mot. Tu peux aussi écrire en police blanche — tu tapes ton texte, mais sans le voir. Relis seulement le lendemain.
Les perfectionnistes devraient expérimenter différentes durées de sprint. J’ai remarqué que 15 minutes peuvent parfois être plus productives que 25, car elles génèrent moins de pression. L’essentiel est de créer une frontière temporelle claire qui empêche ton cerveau critique de prendre le dessus.
Passer à l’action : comment tester le Sprint King dès aujourd’hui
- Choisis une scène spécifique à écrire
- Programme un chronomètre pour 20-25 minutes
- Écris sans interruption, sans te relire, sans te censurer
- Au signal, arrête-toi immédiatement, même en milieu de phrase
- Range ton texte dans un dossier « repos » pendant au moins une semaine
Ce recul te permettra de revenir avec un regard frais. La magie du sprint, c’est qu’il crée cette distance si précieuse entre l’acte d’écrire et celui de juger.
J’ai personnellement doublé ma production quotidienne en quelques semaines grâce à cette approche. Non pas en écrivant plus longtemps, mais en écrivant de façon plus concentrée, plus libre, plus alignée avec mon flux créatif naturel.
Le secret ?
Commencer petit. Un sprint de 10 minutes par jour pendant une semaine te donnera plus de résultats qu’un marathon d’écriture le week-end.
La régularité du sprint est bien plus importante que sa durée.
Le mot de la fin : Écris d’abord, ajuste ensuite
La méthode King n’est pas une vérité universelle. Mais c’est un excellent point de départ : simple, directe, libératrice. Elle rappelle une chose essentielle : tant qu’on n’a rien écrit, on ne peut rien corriger.
À toi maintenant de tester, de bidouiller, d’adapter. Peut-être que tu as besoin de plus de structure. Peut-être que tu préfères écrire lentement. Très bien. Le but n’est pas d’imiter King, mais de trouver ta propre méthode d’écriture — celle qui te permet d’avancer, mot après mot.
Car écrire, c’est aussi ça : explorer ton fonctionnement, ajuster au fil des pages, et construire ton atelier intérieur.
D’ici là, ferme la porte… et ouvre ton brouillon.
Pour explorer un autre type de méthode d’écriture, je te recommande cet article Construire ton roman pas à pas : la méthode des écrivains architectes.
👉 Retrouve d’autres conseils pratiques dans ma newsletter Fiction Furax, envoyée deux fois par mois et entièrement dédiée à l’artisanat du roman. Pour toute inscription, reçois mes 7 Mini-trucs d’écriture à connaitre pour améliorer ton écriture romanesque.